dimanche 16 décembre 2012

ART ET POLITIQUE : SABATIER ET LE SOULEVEMENT DE LA JEUNESSE

Giulio Baldo — Le 2 novembre 2012, tu as convié quelques collectionneurs dans ton atelier pour leur présenter un ensemble inédit intitulé « Le Voir-Dit de l’externe et de l’interne réconciliés ». Quel sens convient-il de donner à ce titre ?
Roland Sabatier. — Il renseigne sur la structure formelle de cette réalisation ainsi que sur le sujet qu’elle supporte. Il s’agit de la rencontre et de l’entente difficile de deux jeunes dans le contexte culturel, politique et social actuel qui met tout en œuvre pour les séparer. Si l’un d’eux, une jeune femme, se satisfait de son rang à l’intérieur du circuit économique, l’autre, un jeune homme, méprise la place qui est la sienne dans ce même circuit et lutte afin d’améliorer son sort en multipliant des actions singulières liées autant à la « créativité détournée » qu’à la « créativité pure ». L’action à pour référence le Traité d’Économie nucléaire et Le Soulèvement de la Jeunesse, publié par Isidore Isou en 1949 -  dont les termes « externe » et « interne » sont extraits – et se déroule sur fond de luttes et de revendications en rapport avec « le programme du « protégisme juventiste » touchant aux transformations de l’école, du système bancaire, de la planification et du statut des représentants aux postes de responsabilité de l’État.
C’est sur la mise en œuvre de l’ensemble de ces différents plans que les deux protagonistes parviendront finalement à s’ajuster et à s’harmoniser.
G.B.— Le propos est d’envergure et, comme tel, il semble tenir de l’épopéïque. Qu’en est-il du « Voir-Dit » qui, sans ambiguïté, semble nous renvoyer à la poésie du Moyen-Âge ?
RS. — En effet, c’est bien une forme poétique de cette époque et Guillaume de Machaut en est le représentant le plus important. Avec son Voir-Dit de 1364, il s’agissait de textes à deux voix mêlant le récit en vers, des pièces lyriques et musicales et des lettres en prose souvent organisées autour de thèmes autobiographiques et courtois à partir d’un certain nombre de formes fixes de la poésie comme la ballade, le rondeau, le virelai ou la complainte, dont il était lui-même l’initiateur. À l’image d’une telle réalisation j’ai été tenté de concilier au sein d’une même œuvre des arrangements qui tiendraient compte, à parts plus ou moins égales, des possibilités d’expression des éléments modernes dévoilés par le lettrisme autant dans les arts visuels que dans les arts sonores.
Déjà, en 1967, j’avais réalisé Le Voir-Dit de la double obscurité, une partition au sein de laquelle s’interpénètrent constamment des composants aphonistiques et lettriques – et accessoirement infinitésimales - qui, habituellement, s’inscrivent dans des champs séparés. Longtemps, je suis demeuré obsédé par les développements auxquels une telle réalisation pouvait parvenir, notamment par l’insertion en son corps, non seulement des formes ampliques et ciselantes de la poésie et de la musique lettristes, mais, également, de tout ce que la richesse des structures hypergraphiques, infinitésimales, excoordistes et supertemporelles pouvait lui offrir de neuf à travers la variété et la densité des différents arts visuels.
La masse de notes et de documents patiemment accumulés depuis cette époque m’a décidé à entreprendre concrètement Le Voir-Dit de l’interne et de l’externe réconciliés au début de l’année 2005 et je ne l’ai finalement achevé qu’en 2011.
G.B. — La densité du travail est perceptible et le résultat impressionnant, riche d’une infinité de complexités et de nuances. Sans doute par manque de place, la présentation récente exposait les différentes planches rangées dans un porte-folio. Comment devra-t-il se présenter à l’avenir?
RS.  — Il est constitué de cinquante parties, chacune au format 65 x 57 cm, et de vingt-cinq appendices (50 x 57 cm), répartis à raison de dix planches et de cinq appendices regroupés dans une présentation murale sous la forme de cinq Livres distincts de 1,80 sur 2,85 m de large. L’ensemble atteint les quinze mètres de long. Cette possibilité n’exclut pas que l’on puisse le considérer également comme un « spectacle » susceptible d’être interprété sur une scène.
G.B. — Quelle forme ce spectacle prendra-t-il ?
RS. — Il y aura à voir et à entendre. Je veux dire que, en relation étroite avec la partition, il sera formé par des successions de séquences visuelles – projections de proses hypergraphiques et excoordistes versifiées, de bouts de films, de photographies, d’ombres chinoises, de particules électrographiques, de segments aphonistiques et infinitésimaux, de schémas, etc. – et de séquences sonores constituées par des émissions prosodiques et des interprétations de poèmes et de musiques lettristes.
Légende de l'illustration :Le Voir-Dit de l’externe et de l’interne réconciliés, 2005-2011. (Extraits du Livre 1)

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