dimanche 9 mai 2010

L'ETAT, LE MARCHE, LA CRISE

L'ETAT, LE MARCHE, LA CRISE

Deux crises viennent de se succéder sans que l'on puisse dire malgré les plans de secours et les décisions drastiques mis en oeuvre si elles permettront de sortir d'un chaos dont les conséquences politiques, sociales, économiques pourraient être désastreuses : la crise financière et les logiques délirantes des banques appellent bien sûr l'instauration d'outils de régularisation et d'encadrement, un retour des Etats (notamment via la fiscalité) dans le jeu financier mondial afin de mettre en échec les débordements d'une finance devenue folle, jouant contre l'économie réelle et ses acteurs. Pour autant, ce retour de l'Etat dans l'imaginaire politique et les programmes électoraux vient de trouver avec la Grèce ses limites. C'est là même un cas d'école qui devrait faire réfléchir une gauche déboussolée qui voit dans l'État hégémonique la solution à tous les problèmes : fonction publique pléthorique (800 000 à 1 000 000 de fonctionnaires pour 4, 9 millions d'actifs), fraude fiscale massive à tous les échelons de la société (un manque à gagner énorme pour les caisses de l'État), un secteur industriel faiblement développé (peu d'exportations) et un secteur des services qui représente près de 60 % des activités économiques du pays (tourisme, restauration, hôtel)... Bref, des gouvernements successifs qui incapables de mettre en route un développement économique conséquent ont usé des aides européennes pour garantir le train de vie de l'Etat et les embauches massives, électoralistes, de fonctionnaires, puis finalement le trucage des chiffres pour cacher le désastre aux marchés devenus indispensables pour trouver de nouveaux financements... Les socialistes d'obédience strauss-khanienne ne cessent pourtant de le dire : "la dette est l'ennemi de la gauche", car celle-ci oblige les Etats à se financer toujours plus sur les marchés et donne à ceux-ci un ascendant redoutable (augmentation des taux d'intérêt en fonction des risques, bulles spéculatives). Le gouvernement socialiste grec a le mérite de tenir un langage de vérité et de prendre les mesures hélas terribles socialement qui s'imposent pour assurer un équilibre budgétaire indispensable, retrouver la confiance des marchés, et renouer avec la croissance. Il y a pourtant quelques années les jeunes défilaient déjà dans les rues non contre le "capitalisme", le "marché" mais contre une société bloquée :

En mai 1968, les Français jetaient des pavés parce qu'ils avaient trop de rêves. Les Grecs, eux, n'en ont plus. "On nous les a volés, murmure Anthée, une jolie blonde criblée de piercings. A quoi servent nos diplômes? A rien, sauf si nos parents ont des relations ou si on connaît quelqu'un de bien introduit... En fait, nous sommes coincés."

D'un côté, le chômage, qui culmine à 24,3% pour les 15-24 ans - le plus fort taux d'Europe. De l'autre, des salaires au plancher: "On ne voit pas d'avenir, soupire Eleni, une étudiante. Ma génération survit avec 700 euros par mois. Nos aînés se sont sacrifiés pour nous offrir des cours particuliers et une meilleure vie que la leur. Seulement, voilà, elle est plus dure..."

Si Athènes n'a pas regardé à la dépense pour le faste des Jeux olympiques de 2004, elle est nettement moins prodigue avec le budget d'un système éducatif au fonctionnement archaïque. A maintes reprises, lycéens et étudiants ont manifesté pour réclamer des crédits supplémentaires. Leur ressentiment est d'autant plus vif que les inégalités se sont creusées ces vingt dernières années, pendant le décollage économique rapide du pays.

"Nous, en plus, on a la corruption, à tous les niveaux, depuis trente ans"

"Chaque jour, des pauvres gars défilent dans mon bureau, explique Pavlos, l'avocat en colère. Leur maison est sur le point d'être saisie parce qu'ils ont 2000 euros de dettes, quand des millions sont détournés par l'Eglise et par les politiciens..." Ce sentiment d'injustice explique en partie la violence des troubles.

Dans la capitale, à Thessalonique et dans de nombreuses villes à travers le pays, des émeutiers se sont parfois livrés à une casse monumentale et organisée. Contre les magasins, mais aussi contre des banques ou les sièges flambant neufs des multinationales. Révélatrice, l'une des premières cibles des casseurs a été le centre d'archives bancaires, à Athènes, dans une ruelle proche de l'avenue Panepistimiou, où sont recensés tous les noms de ceux qui ont contracté un emprunt dans le pays.

http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/quand-la-rue-grecque-s-enflamme_726930.html

De tout ce gâchis qui oblige chacun à des révisions déchirantes, il reste pourtant quelques grandes évidences qui permettent de lire en creux des problématiques qui intéressent l'ensemble de l'Europe : sortir d'une société de statut où les insiders (de la fonction publique, du marché, de la finance) cherchent surtout à augmenter leurs rentes et à garantir leur place, pour une société ouverte aux outsiders, à la mobilité et à la redistribution des places, aux jeunes générations, mettre l'endettement au service de la croissance à venir (secteurs innovants, marchés porteurs, éducation et formation) et non au financement du train de vie des États, réforme globale de la fiscalité (chère aux socialistes) afin d'assécher les bulles spéculatives et d'encourager l'investissement dans l'économie réelle, nécessité absolue de l'échelon européen dans le cadre de la mondialisation avec cependant d'indispensables réformes (à quand des politiques économiques, fiscales et sociales communes ?)...

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