jeudi 7 juin 2007

QU'EST-CE QUE L'ECONOMIE NUCLEAIRE II ? (REISSUE)

Selon Isou, le prolétariat conscient et organisé ne constitue pas cette classe révolutionnaire à qui Marx avait assigné la tâche historique de critiquer et de dépasser la société bourgeoise ; il ne porte que des revendications visant à aménager le circuit économique existant, à y faire reconnaître les droits et le rôle des salariés dans l'appareil de production. Les doctrines économiques classiques et critiques s'appuient donc sur les agents économiques, leurs relations et leurs antagonismes, afin, selon une logique politique du rapport de force d'ajuster le "marché" en fonction des intérêts défendus par chacun d'entre eux. Le libéral promeut l'investisseur, l'entrepreneur comme des figures motrices et clés de la création de richesse (en d'autres termes emplois et croissance) ; il assure que l'intérêt égoïste de ceux-ci est utile et bénéfique à la collectivité qui n'est jamais qu'une addition d'égoïsmes singuliers. Marx démontre brillamment que l'économie classique méconnaît le rôle du travail, de sa valeur, dans la production de la richesse, et comment les salariés sont dépossédés des fruits de leur labeur, alors qu'il sont obligés de s'y aliéner par l'organisation bourgeoise des rapports et des modes de production. A l'égoisme et à l'utilitarisme de la pensée bourgeoise, Marx oppose une compréhension du travail humain comme praxis inscrite dans un tissu social (valeur d'usage). La reconnaissance symbolique et économique de ce travail, le partage conséquent de la plus-value créée, constituent les grandes revendications trade-unionistes des organisations ouvrières autant que l'exigence de solidarité nécessaire à la lutte ("prolétaires de tous pays, unissez-vous" s'opposant au "chacun pour soi" des libéraux).
Les rapports de domination d'une classe (prolétariat versus bourgeoisie) sur une autre reste, dans cette perspective, l'explication dernière des conflits qui traversent la vie économique et l'organisation sociale. Pourtant ces classes elles-mêmes ne sont pas homogènes : les jeunes en effet sont en effet tenus pour la plupart hors du circuit économique, et se singularisent par la "gratuité", en terme économique, de leurs efforts et de leurs actes. Au service de la famille, comme dans la paysannerie, ils constituent une main-d'oeuvre peu honéreuse, employés comme apprentis ils accomplissent un travail comme n'importe quel salarié mais sont peu rettribués au prétexte qu'ils n'ont pas encore l'expérience et les compétences suffisantes pour prétendre à un vrai statut. Etudiants ou scolarisés, ils représentent une force potentielle de subversion de l'échange institué, libéral ou socialiste, dans la mesure où pour y exister ils doivent incessamment en déplacer les lignes, en transgresser les seuils et les limites. Isou perçoit cette catégorie d'agents négligée par les économies classiques et critiques comme une zone particulièrement instable, qui dépossédée des moyens d'une souverraineté économique, sociale et politique supporte toutes les aliénations et exploitations (la famille, l'école avant d'éprouver l'apprentissage du monde de l'emploi auquel il doit s'ajuster).
Les jeunes sont dans une situation unique : ils ne connaissent de l'échange que les peines et sont privés de toutes les satisfactions qui sont la retribution normale de celles-ci dans le cadre du salariat. Cette frustration orginelle explique le désordre, hors de tout folklore romantique, inhérent à la jeunesse qui cherche à exister par tous les moyens, ceux de la créativité pure (les valeurs qu'elle apporte et qui modifie positivement le ciruit établi en permettant aux nouveaux venus de trouver leur place pour le plus grand bénéfice de la collectivité) ou ceux de la créativité détournée (le nihilisme et ses nombreuses manifestations : révoltes diverses, délinquance...). Pour Isou, les jeunes cherchent ainsi avant tout à entrer dans le circuit économique pour y déployer leur force de travail et d'invention, y gagner une reconnaissance sans pour autant renoncer aux valeurs et aux aspirations qu'ils portent. Il y a là un dépassement de l'opposition traditionnelle entre acceptation servile d'un système, adaptation à son principe de réalité et rejet de celui-ci pour la fuite romantique hors d'un réel décevant. Les jeunes en entrant dans le circuit en modifient les règles et l'équilibre, dans la mesure où ils entrent en concurrence - puisque le libre échangisme est le norme dominante - les uns avec les autres dans la course aux meilleures places, le nombre de celles-ci étant limité. Ils s'opposent aussi aux salariés ou dirigeants déjà en fonction qui n'entendent pas céder les postes qu'ils occupent et obligent les nouveaux venus à emprunter des itinéraires interminables (stages, justification d'ancienneté...) avant de pouvoir atteindre l'emploi souhaité, et dans quel état ! L'impatience et la frustration de la jeunesse définissent ainsi des moteurs forts d'une dynamique de subversion qui en certaines circonstances (crise par exemple) explique les mouvements insurrectionnels que ces jeunes accompagnent ou conduisent afin de liquider un "vieux monde" où ils ont si peu leur place. Plus largement, les salairés qui végètent dans des emplois peu épanouissants, en quête d'une reconnaissance et d'un poste où ils pourraient enfin se réaliser comme agent économique en soi, partagent avec les jeunes cette même insatisfaction. Isou définit comme Externité cette catégorié de mécontents et d'insatisfaits, qui peinent à exister dans une organisation économique donnée, les jeunes de par leur situation présentant le plus haut degré d'externité. Les internes représentent l'ensemble des agents économiques (qu'il s'agisse des investisseurs, des employeurs ou des salariés) qui se touvent pleinement insérés et réalisés dans le cadre du circuit institué, ils en sont les gardiens autant que les garants. Les théories classiques (atomistiques dans la mesure où elles se fondent sur l'individu type capitaliste) et critiques (moléculaires dans la mesure où elles s'appuient sur une classe) négligent la masse d'agents pré-économiques, les jeunes, qui interviennent pourtant massivement dans les bouleversement de l'ordre économique en place autant qu'elles méconnaissent le quantum d'externité qui habite souvent même les mieux intégrés de ces deux systèmes . Toutes les solutions et les réformes proposées par les libéraux et par la gauche dans sa pluralité s'avèrent donc insuffisantes en raison de leur ignorance de cette donnée essentielle de la question économique et des conflits qui lui sont inhérents.
De ce constat, Isou dégage trois grandes orientations pour asseoir sa théorie économique : d'abord, la nécessité d'une réforme de l'enseignement afin de permettre aux jeunes d'entrer sur le marché de l'emploi au plus tôt avec la meilleure formation possible, ensuite la redistribution d'une partie de l'impôt collecté sous la forme d'un crédit de lancement, afin de favoriser l'initiative et la création de nouvelles entreprises, enfin une planification repensée à la lumière des désirs exprimés, des besoins constatés et apports innovants introduits, afin d'ajuster la productions des biens et des services aux attentes complexes, en devenir, de l'ensemble de la société. Il s'agit en fait de dépasser le "tout marché" et sa jungle défendue par les libéraux autant que le "tout-état" promu par le socialisme. Plus profondément, pour en finir avec la lutte de "tous contre tous", Isou popose un socialisme qui place la création, et non plus seulement comme Marx la production, au centre de l'activité économique afin d'installer, à la place de la rareté qui est encore la norme, une société d'abondance et de prodigalité.

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